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La pratique écologiste de l’aquarelle

Connaître, c’est la capacité de comprendre et de vivre en relation profonde avec notre environnement. Plus je le connais dans le détail, plus j’ai de dispositions à m’y ajuster étroitement.

Lorsque je peins la Dordogne, il est impératif de me fondre dans le paysage. Il faut la laisser couler et capter l’un après l’autre les détails infimes d’une vie innombrable.

Alors, au bout d’un temps, le spectacle commence et je me mets au travail. Il faut se presser, personne ne viendra encore. En face, sur le grand peuplier, deux corneilles lissent leur plumes : elles montent la garde. La vie se révèle par touches successives, la force de l’eau imprègne mon pinceau. Le papier devient vivant, il absorbe les fusions du courant et de la berge, les vibrations d’une vie foisonnante, l’allégorie des couleurs, la symphonie aléatoire et discordante du reflet des arbres dans l’eau. Lorsque je peins, le temps se fige un instant jusqu’à la touche finale.

Un barbeau vient remuer la surface de l’eau, les ondes se propagent trahissant une vie secrète et abondante . Au-dessus du miroir, les branches tendent leurs mains portant les nids des années passées. La flèche turquoise du martin-pêcheur griffe la surface. C’est maintenant un déchaînement de vie que j’invite dans l’aquarelle, de la libellule à la loutre.

Puis brutalement, la magie est rompue. Les deux corneilles, vigilantes sentinelles, viennent de quitter leur perchoir en protestant. Je sais, avant de l’avoir vu, qu’un canoë jaune criard va dégrader l’harmonie du tableau. J’entendrai d’abord les coups de rame contre la coque, puis des cris perçants. Dans quelques minutes, il glissera devant moi, les rames inertes. Alors une voix dira « regarde le type, il peint ». Ils se laisseront glisser sans bouger, bouche ouvert, en me dévisageant à se dévisser la tête. Je sais qu’il faut plier, car derrière eux viendront cent autres qui vont répéter la même scène. Ils vont javéliser le couloir de la rivière, karcheriser une vie sauvage invisible pour eux. Ils n’en retiendront que de l’épuisement agrémenté d’un coup de soleil.

L’homme s’invente des sanctuaires mais ne respecte pas ceux qui existent déjà. Intrusion obscène et sacrilège, ces gens ignorants sont coupables de s’être laissés déposséder du support naturel. Pendant des mois, la Dordogne, réserve mondiale de biosphère, gardera dans son lit leur souvenir impérissable : poubelles et dégradations en tout genre .

« Celui à qui la nature commence à dévoiler ses secrets éprouve un désir irrésistible de connaître son plus digne interprète : l’art. »

Johann Wolfgang von Goethe