On me demande souvent combien de temps je mets pour faire une aquarelle. Je pourrais répondre trois jours aussi bien que trois heures et cela ne surprendrait personne. Nous vivons avec les yeux sur la pendule et le temps qui passe nous affole tel le lapin d’Alice. Lorsque je peins, le temps ne s’écoule pas de la même manière. Je suis entièrement à mon travail. Il m’est impossible de faire autre chose et je suis capté au point de devenir une force au service intégral de l’aquarelle.
Il y a peu de choses, si je considère mon existence, qui me captent de la sorte. Ce sont toujours des activités qui ont pour ancrage mon désir et qui exploitent cette force au service de…
Capté ne veut pas dire captif : lorsqu’on se laisse capter il se produit dans notre cerveau une possibilité de franchissement des limites ordinaires qui nous sont imposées par la volonté de dominer le sujet. Les chemins d’accès aux capacité inemployées du cerveau existent. Le fait d’être capté par une discipline permet de les trouver. Chacun d’entre nous est un être original qui détient la possibilité de mettre en œuvre l’accomplissement de soi. Chacun possède secrètement le chemin qui mène à son désir. Accepter d’être capté, c’est découvrir cette promesse inconnue qui vit en nous, c’est retrouver l’énorme potentiel de créativité qui a conduit l’espèce humaine à travers les âges.
Il s’agit d’abord de trouver l’objet, l’activité, la discipline qui ouvre cette dimension. Beaucoup ne la trouve pas, aveuglés d’une surconsommation qui anesthésie le désir et multiplie inutilement les objets supposés apporter le bonheur. Gigantesque tromperie où seul s’échappent ceux qui pensent par eux-mêmes. Nous nous servons en permanence du cerveau des autres et nous déléguons notre capacité à penser par nous-même à la société. Par cela nous en sommes captifs et amoindris. Les technologies informatiques se sont peu à peu substituées à nos perceptions intimes du monde au point de n’avoir comme projet spirituel que l’étendue désertique du mal-être intérieur. Advienne la surprise d’une menace et nous sombrons dans la dépression. Il importe de sortir de sa zone de confort, d’entretenir ce questionnement intérieur qui nous différencie tous, d’utiliser notre pensée propre. A la différence d’un ordinateur, nos avons un cerveau capable d’élévation spirituelle.
« La seule possibilité de donner un sens à notre existence, c’est d’élever sa relation naturelle avec le monde à la hauteur d’une relation spirituelle ».
Albert Schweizer, 1875 – 1965