Alors que le jour se lève, les brumes de la Dordogne s’échappent sur la vallée du Céou séparant le château du village.
La perturbation délibérée apportée dans l’aquarelle par cette écharpe de brume coupe le tableau en deux parties : l’une haute et chaude, l’autre basse et froide. La partie haute illustre la position dominante du système féodal ; la partie basse est elle-même redivisée par l’église et le peuple tout en bas. Couleurs chaudes en haut, couleurs froides en bas. Les quelques dizaines de mètres qui séparent en altitude le château du village suffisent en hiver pour que seul le château se réchauffe. Souvent, le gel persiste dans les rues. Ce brouillard me permet de relater un système socio-culturel que nous dévoile l’architecture féodale.
Il est intéressant de noter que la brume, avec sa dimension de « spumante », chère aux maîtres italiens, dissimule ou escamote le milieu du tableau. Les maisons existent avec les mêmes couleurs que le reste, mais avec un aplat minimal de peinture. Elles sont plus proche du château, mais nimbées en même temps. Là, il se passe quelque chose de l’ordre de la révélation : au lieu de voiler, la brume révèle. Chacun connait les cercles concentriques du pouvoir, où les plus proches sont les plus discrets ou effacés, voir mystérieux. L’architecture exprime encore le fort lien de dépendance du vassal au seigneur. Le système féodal repose sur le clientélisme, ici symbolisé par le brouillard. Mon pinceau me pose la question : « quel est le détail que l’on peut enlever pour que le tableau perde toute sa force ? » Je lui réponds « le spumante ». Il est un indicateur de la lumière dans l’aquarelle. Je n’aime pas le terme de flou qui reste fixe, « le spumante » évoque d’avantage de la fumée qui bouge. C’est le « Qi » des maîtres japonais et chinois. La brume qui enveloppe les monts est pour eux l’énergie vitale – nous sommes donc loin du flou artistique qui ne dispense que de la dissimulation.
La brume en peinture contient l’énergie vitale et a la faculté de la restituer.